lundi 27 mars 2017

La loi du nombre


Plus de 7 milliards d’habitants… 7 Milliards, une multitude, une montagne d’unités, toute une vie d’homme ne suffirait pas pour les compter. Ce chiffre, constitue à lui seul un vertige, un malaise devant un précipice sans fond, une nausée, presque un abîme insondable. Qu’est ce que ce nombre change pour nous, pour notre vision du monde ? A y réfléchir correspond-il à l’image du bonheur ? Est-on heureux les uns sur les autres, sommes-nous finalement comme ces phoques ou ces oiseaux qui se vautrent dans leurs fientes sur ces plages encore sauvages, ces lieux en apparence vides d’homme ? Le nombre pèse, écrase, et certainement infléchit le destin qui à son tour courbera l’échine de cette variable, vers le bas du piédestal.

Posons-nous une question : sommes-nous faits pour vivre en multitude ? Finalement, l’humanité ne commence à proliférer qu’à l’avènement de l’agriculture, il y a douze milles ans, peut-être plus… Ce n’est pas si ancien quand on pense que notre espèce existe depuis environ trois millions d’années. La société agricole, capable de nourrir par millions, ne correspond donc qu’à 0.4% de l’histoire totale de l’humanité, une peccadille… Pourtant ce petit épisode de notre parcours est décisif à l’échelle de notre planète.

Anthropocène. L’anthropocène, le nom d’une nouvelle ère, l’ère de l’homme, une époque où notre empreinte est si profonde que nous modifions notre milieu, dégradons celui qui nous à vu naître pour faire table rase, pour poser le couvert d’un festin gargantuesque et inique de ressources naturelles. Milliards. Des milliards d’individus qui se pressent les uns contre les autres comme des bacilles au fond d’une boîte de petri ; comme le germe de la grippe dans un laboratoire, comme une maladie lente et défigurante, nous faisons de mère nature une invalide… Elle boîte, elle tousse, elle s’essouffle ; c’est une image, fausse en plus, puisqu’il y a eu un avant et il y aura un après, nous… La nature se refait toujours une beauté, même après une tentative de viol.

Si notre mode de vie en surnombre est récent, avons-nous eu le temps de nous modifier suffisamment pour le supporter ? Après tout, il n’y a 10 000 ans seulement, la majorité de nos ancêtres ne savaient pas semer et récolter leur pitance, ils chassaient, ramassaient ce que la brousse leur offrait, s’en remettant à la providence. La vie était rude au paradis. Notre corps, notre esprit, notre fonctionnement intime, tout cela résulte d’une longue adaptation à un mode de vie plutôt nomade, à un régime alimentaire opportuniste, à une vision du monde sans lendemain. Mais nous l’avons oublié… Comme nous ne savons plus que les groupes humains d’avant la « révolution agricole » ne comptaient que quelques dizaines d’individus, vingt, trente personnes au plus, disposant de centaines de kilomètres carrés pour eux seuls. Plus nombreux, ils n’auraient pu se nourrir, le climat parfois assassin faisait la pluie et le beau temps sur la démographie d’alors. Les hommes soumis à la nature la vénéraient avec respect, conscients de leur place réelle dans l’univers.

La découverte de combines pour conserver la nourriture, autorisant quiconque à la stocker, et l’invention de l’agriculture ont changé rapidement la donne. Ces  techniques conférant un avantage technique, économique puis démographique décisif, leurs porteurs forment des groupes humains de plus en plus importants, générant un appétit de terre et d’espace inédit, repoussant définitivement les chasseurs cueilleurs sur des terres de moins en moins fréquentables, s’accaparant leurs femmes qui naturellement auront moins à s’en faire pour leur sécurité alimentaire puis sociale. Les agriculteurs inventent plus ou moins la propriété privée, le cadastre, les impôts, la hiérarchie, les institutions, la société et ses emmerdements. Mais surtout on se spécialise, apparaissent les métiers, et le prestige ou la honte qui les accompagnent selon leurs natures et les époques.  Le chasseur savait tout faire, construire un toit, trouver à manger, conter des histoires, prendre des décisions, transmettre du savoir, soigner… A compter de l’irruption des paysans, plus personne ne peut tenir ce niveau, le nombre s’impose et pèse sur la société. On organise le travail et certains en tirent profit, on invente la servitude et comme il y a des conflits avec les voisins, la guerre devient le mode de règlement ordinaire des litiges…

Les villes croissent, la nature sauvage recule, le chant des petits oiseaux se réduit à quelques merles et moineaux, loin du vacarme extraordinaire qui régnait dans une forêt primaire. Désormais la zoologie à été remplacé par la sociologie, l’ethnologie… On a plus que ses semblables à dévisager, l’homme se reluque le nombril et se fait du bien en s’autocélébrant. La civilisation urbaine a engendré des religions centrées sur l’homme, réduisant la nature à un arrière plan naïf, à un espace de domination dédié au centre exclusif de la création : Nous.  Pour certains la nature est un atelier, pour d’autres un business…  On vit dans une ville immense, quasi-planétaire, interconnectée, sans surprise,  avec ses beaux quartiers, ses zones commerciales, ses banlieues, ses miséreux et ses modes à la con. On a plus que des humains à fréquenter, mêmes les animaux de compagnie sont humanisés, on les bichonne, on les pomponne, des loups on a fait des caniches à mémères…

Des milliards de voisins, avec leurs copropriétés, leurs querelles de petits territoires, de haies trop hautes, de voiture mal garée, de bastons à cause du bruit et des odeurs de cuisine, le voyeurisme, les hypocrisies morales se comptent par milliers, et chacun y va de ses certitudes pour refaire le monde alors que lâché en pleine nature, il ne survivrait pas… On ne le supporte pas, on ne se supporte pas, l’autre était un miroir, une chance, avec la pression démographique, il devient un concurrent, un ennemi, une bouche inutile… Posons honnêtement une question : si demain tout s’arrête, combien de temps tiendrions-nous à 7 milliards ? Savez-vous chasser ? Ou trouverez-vous le gibier ? Savez-vous planter, semer, récolter ? Savez-vous vous nourrir sans un supermarché ou un traiteur ? Vous connaissez la réponse, pour beaucoup elle est absolument négative. Tout ce que nos civilisations ont construit ne tiendrait que quelques semaines, et nous en serions rapidement réduits à nous considérer les uns les autres comme une source immédiate de protéines.

Honnêtement, je ne sais pas si nous sommes en phase terminale, mais je note qu’une certaine légèreté est de mise, voire savamment entretenue. On bouffe sa malbouffe, devant ses vidéos de massacres au 20 heures, chauffés au nucléaire suicidaire, défoncés au pétrole, infantilisés par les pubs, par le management, dirigés par des rois sur prescription médiatique, dont le métier consiste à nous chanter des berceuses et à reculer l’heure d’un réveil sauvage et funeste.


Conclusion : que faire ? Soit on meurt dignement, drapés dans les derniers oripeaux de notre fierté d’espèce consciente, coulant avec notre navire au milieu du vaste océan d’indifférence d’une nature, qui en a vu bien d’autres. Soit justement en espèce consciente, plaçant l’esprit au-dessus de la matière, nous serons plus fort que nos instincts avides et brutaux, nous sacrifiant pour les générations suivantes, oubliant les petits plaisirs suivistes et les gadgets à la noix pour lesquels personnes ne souhaiterait vraiment mourir… Pour ne pas subir la loi du nombre, commençons à compter l’essentiel et l’inutile.

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