vendredi 14 mars 2014

Politique, peuple et "peopolisation"


Depuis quelques années déjà, la politique-spectacle semble devenir de plus en plus outrancière, elle était un emballage, désormais elle s’emballe au rythme trébuchant des politiciens accros à la communication, de ces dirigeants pris au jeu d’une vie écrite dans un script, se prenant les pattes dans la carpette d’un égo distordu par  l’inflation du personnage public. Bien entendu, ce n’est même pas un secret de polichinelle, ou un scoop tombé d’une alcôve. La propagande politique aime se parer des habits de lumières des saltimbanques.
Dans les temps anciens, les comédiennes considérées comme des putains, les bonimenteurs, ou encore les irrévérencieux fous des rois, ornaient les parterres des courts, s’offrant en pâture aux appétits royaux pour parfois terminer en patère aux pieds d’un souverain susceptible.  Les lumières du pouvoir ont toujours stimulé les envies de briller de cigales ne se voyant pas assumer un destin de fourmi. Etre saltimbanque, implique une forme d’instabilité, une marginalité, une volonté de s’inscrire hors du commun, d’être au dessus de la normalité. Il y a une rage de crève-la-faim à la base de ces réussites artistiques éblouissantes, et intemporelles, ou de ces courtisans pas toujours talentueux mais manipulateurs qui savent survivre aux dangereux abords des chefs. L’histoire est pleine d’exemple d’enjôleuses ambitieuses, séduisant un César pour terminer plus ou moins aux commandes ; ainsi, Théodora fille de dresseur d’ours, danseuse et peut-être prostituée finit Impératrice d’Orient, et pour ce faire on n’imagine pas dans quels draps parfois sanguinolents son impérial époux, Justinien, se mit pour convoler avec cette courtisane pleine de malices et certainement de délices. Le chef est un homme comme les autres, éventuellement faible au devant du sexe « faible », grisé par le pouvoir, dopé à la dominance, le mâle cherchera à couvrir un maximum de femelles ; personnes de petite vertu et grands hommes développent alors des relations plus ou moins assumées par la morale populaire.
Le peuple rêve de rois bon pères de famille, répondant aux canons d’une famille ordinaire et sereine, on aimerait un grand patron qui soit un Papa rassurant, aux larges épaules et à la voix couvrant tous les larsens de la réalité. Mais, si Papa était un obsédé ? Et s’il avait ses petites manies, ses garçonnières, ou des petits parsemés un peu de partout. Et puis ne parlons pas de Maman… Non, elle ne peut pas nous faire çà, se donner à plus bas qu’elle, s’entourer d’escrocs, de gourous, de gigolos ou de marchands de chiffons. L’image de la famille en prend un coup, finalement ces demi-dieux à qui nous avons confié notre destinée ne sont que de simples sacs de viande, écumant d’hormones et d’humeurs diverses. Ils mentent sur leur nature semi divine, ils ne sont pas des envoyés du ciel, ils ne nous sauveront pas de notre humanité, ils sont comme nous ! Quel choc, quelle horreur ! Parce que nous sommes laids, avec nos déviances, nos fantasmes inavouables, nos honteuses exécrations, avec nos silhouettes ordinaires, avec nos visages de biais et nos regards de travers, on se dit que l’humanité est si banale… Alors on s’invente des Dieux vivants, des leaders à la vocation de totem de chair ; le chef est forcément charismatique, au dessus de la médiocrité de l’engeance commune, parce qu’il est  parvenu à la place où il se trouve, il a le droit d’être adoré, de briller, de nous aveugler avec sa splendeur, dont l’éclat nous fera oublier ces petites odeurs qui ramènent chacun à son animalité.
Le paradoxe, c’est que nombre d’entre nous aiment se rappeler que les puissants eux aussi demeurent équipés de tubes digestifs, de gonades, où de glandes sudoripares ; les puissants naissent, vivent, meurent et se décomposent… On veut voir les photos, les disgrâces des visages, les irrégularités des corps, la vulgarité qui perfore le voile des arrangements audiovisuels. Tout çà, on veut le constater, endosser notre part du festin, s’attabler dans la grande brasserie cannibale du potin. Voyez vous cher lecteur, l’humain jouit du « quand-dira-t-on » comme d’autres primates se pâment de s’épouiller. Certes, moins poilus que nos cousins, nous avons récupérer au passage le langage vocal ; ce dernier nous donne l’occasion de petits bonheurs réguliers, le plaisir de se gausser d’autrui, de tailler un costard à nos prochains, et quoi de plus tentant ou de plus vengeur que d’habiller le patron pour l’hiver ? Il n’y a rien de plus humain que ce sport universellement pratiqué.
Partant de ce constat, tout ce qui est écrit plus haut est connu de tous ; les agences de pub, les boutiques de propagande et les politiciens eux-mêmes se jouent de ces petites curiosités, de ce voyeurisme ordinaire ; alors tous ces gens très intelligents qui nous gouvernent, et nous mènent sûrement vers notre futur, quel qu’il soit, toutes ces personnalités qui auront la satisfaction de savoir que l’histoire s’intéressera à eux, et qu‘ils animeront les fantasmes de la postérité, et bien ces illustres savent comment nous mener parce qu’ils maîtrisent nos travers, et ne croyez pas qu’ils aient renoncé à leur propre part d’ombre. En fait, ils s’en servent pour accéder au pouvoir, pour le garder et assoir leur domination. Paraître ordinaire est devenu un argument de vente : « moi aussi je suis sale, voyez mes chemises et mes dessous en fin de journée, alors achetez ma lessive, celle-là même que j’utilise alors que vous savez bien que je ne suis pas un délicat… ». La perversité de la démarche est si grande, que pour rassurer le peuple, nos patrons vont simplement nous raconter des histoires sur leur intimité, en la mettant tout simplement en scène grâce aux talent des pros de la com’ : « dis donc coco, comment on s’en sert de la lessive déjà, montre moi parce que j’ai besoin qu’ils y croient un peu… ».
Soudainement on réalise que le dirigeant moderne n’est plus comme ceux du temps des grands anciens. Avant, le saltimbanque gravitait autour de son souverain et mécène, guettant ses faveurs ; aujourd’hui, le leader lui-même est devenu un saltimbanque qui s’exhibe pour obtenir les faveurs du peuple. Le peuple contemple donc la politique comme il se rend à la foire, on s’intéressera aux plus facétieux, au plus provocateur, aux monstres donc… Les gouvernants devenus des artistes inquiets de ne plus être dans la lumière, guettent nos moindres réactions, anticipent le plus petit signe d’humeur du public… L’opinion est au centre de tous les enjeux. Nous vivons en République, le peuple est donc le souverain, on ne le soumet plus comme avant, il faut le séduire, le draguer. Comme une femme jalouse de sa vertu, le peuple aime se voir comme une forteresse à prendre : « je ne suis pas celle que vous croyez ». Le politicien rusé, Scapin avisé, usera d’illusions et d’artifices divers pour trousser la mignonne, parce que cette dernière est une veuve fortunée, et un peu naïve. Désormais, les acteurs sont aux commandes, la politique fait partie du monde du spectacle et les politiciens en sont devenus les intermittents, à nos frais… On ne nous donne à voir qu’une immense pièce de théâtre, une telenovela à deux balles.

Alors vient le moment de conclure, et surtout de s’interroger. Si la politique est un art dramatique, les journalistes en seraient les critriques ? Les conseillers en communication, les metteurs en scènes ? Les régisseurs ? Les souffleurs ? Qui a vraiment le pouvoir ? Car un acteur, même s’il atteint la dimension d’un monstre sacré que les représentations s’arrachent, dont les cachets sont insolents, et les caprices insupportables, et bien même dans ce cas il n’est pas maître du script, qui tire les ficelles des marionnettes ? Le saltimbanque survit que grâce à un mécène, un intervenant qui par goût mais plus sûrement par intérêt organise le festival, et le visite comme un simple spectateur de ses œuvres. Qui est ce généreux personnage, ce passionné d’art tapis dans l’ombre qui passe des commandes? Voilà la question centrale de notre vie démocratique. Sans être moraliste, on dira qu’il ne faut pas s’attacher aux attitudes ou aux discours des politiciens-acteurs, qui ne sont qu’autant d’écrans de fumée, mais à ce que cachent ces mêmes vapeurs de confusion. L’illusion ne peut opérer que si la cible est confuse. C’est ainsi qu’on nous gouverne, par le biais d’une confusion savamment orchestrée, les vrais desseins sont ailleurs et c’est eux qu’il appartient à chaque citoyen d’étudier, sous peine d’être une victime consentante de publicité mensongère…

mercredi 19 février 2014

La Racaille parmi nous, depuis toujours.


Qu’est ce que la racaille ? Des gens qu’on n’aime pas assurément, quand on les nomme ainsi. Elle désigne à l’origine ceux qui comptent parmi les marginaux, qui ne voudraient pas s'aligner dans les rangs de la majorité de la population, ou en tout cas qui ne seraient pas désireux de suivre les us et coutumes de Monsieur et madame « tout le monde ». Bien entendu on pense aux délinquants, à des communautés aux modes de vie inhabituels, dissolus, en désaccord avec la norme, et perçues généralement comme des inutiles voire des nuisibles. Le mot « racaille » est très ancien, peut-être issu du latin rasicare signifiant « gratter ». La racaille serait donc une sorte de poil à gratter de nos sociétés passés et présentes. Cette insulte ne fut pas toujours adressée à des gens de basse extraction, tout au contraire la littérature anti-bourgeoise a utilisé ce terme pour désigner les nantis, ces individus riches vus comme des profiteurs, et des exploiteurs du bon peuple. Le peuple serait donc comme le salami d’un sandwich, pris entre les racailles d’en haut et d’en bas, entre petits délinquants de cités et grands délinquants en col blanc. Dans les cités, « racaille » n’est même plus une injure, il s’agit d’un qualificatif, on est entre « racailles », c’est-à-dire entre personne de la même bande, du même quartier. Aujourd’hui « les racailles », « les cailleras » ou « cailles » ont pris la place des « blousons noirs » des années 60, des « apaches » de la belle époque… Ils ont tous en commun le fait que leurs effectifs sont composés de jeunes ou très jeunes hommes, qu’ils sont très souvent issus des quartiers populaires ou des banlieues, et que leurs conditions sociales font qu’ils vivent en infraction ou en lisière de la loi. Ils cultivent naturellement une attitude de défiance évidence envers le système et la bonne société, qui le leur rend bien. Si on prend pour exemple les Apaches, un extrait du Petit Journal du 20 octobre 1907 est suffisamment éloquent pour offrir une comparaison avec notre époque :

« L'apache est la plaie de Paris. Nous démontrons plus loin, dans notre « Variété », que, depuis quelques années, les crimes de sang ont augmenté dans d'invraisemblables proportions. On évalue aujourd'hui à au moins 70 000 le nombre de rôdeurs — presque tous des jeunes gens de quinze à vingt ans — qui terrorisent la capitale. Et, en face de cette armée encouragée au mal par la faiblesse des lois répressives et l'indulgence inouïe des tribunaux, que voyons-nous ?... 8 000 agents pour Paris, 800 pour la banlieue et un millier à peine d'inspecteurs en bourgeois pour les services dits de sûreté. Ces effectifs qui, depuis quinze ans n'ont guère été modifiés, sont absolument insuffisants pour une population dont l'ensemble — Paris et banlieue — atteint, le chiffre énorme de 4 millions d'habitants. »

Quand on lit ces quelques lignes, et en changeant quelques éléments de ci de là, on se dit que cet article aurait pu être écrit aujourd’hui. Les reproches faits aux pouvoirs publiques sont, de manière troublante, absolument identiques à ceux fréquemment entendus depuis quelques années, on serait tenté de dire depuis toujours ? La réponse la plus efficace contre la délinquance, au début du vingtième siècle fut d’envoyer les sauvageons dans les tranchées de la grande guerre. En général, les apaches ne se dérobèrent pas, la racaille s’est faite massacrée au côté du reste de la jeunesse du pays. Par conséquent après guerre les effectifs ont été ramenés à des seuils plus acceptables… La guerre constitue-t-elle une solution à la délinquance ? Le prix est tout de même élevé pour plus de tranquillité dans nos rues ! Mais on n’est pas loin de la vérité, la racaille a de tout temps alimenté les armées, on peut par exemple penser à la première croisade ou au recrutement de la Légion Etrangère depuis ses origines.

Toute société a sa racaille, oserait-on dire qu’il n y aurait pas de société sans racaille ? En tout cas, nombre de jeunes filles de la bonne société, ont de tous temps été émoustillées par ces jeunes freluquets, ces fripouilles qui scandalisent les bons pères de familles, affichent une virilité juvénile et séduisante pour nombre de cœur en mal de sensation ; le mauvais garçon, le « bad boy », est d’ailleurs régulièrement mis en scène dans la littérature comme à l’écran. L’éternelle question est : que faire de cette racaille ? Une réponse possible : de bons pères de famille potentiellement scandalisés par la prochaine génération de racailles…