La franc-maçonnerie, société initiatique et perçue comme secrète, est
l’actrice récurrente de récits tentant d’expliquer les aspects occultes du
pouvoir politique, au travers desquels on lui prête une méthode de modification
insidieuse de la société. Réseau d’affaires, club de réflexion politique ou
simple assemblée philosophique et fraternelle,
elle constitue naturellement un réseau, ménageant des leviers
relationnels qui, selon les circonstances auront joué un rôle déterminant dans
l’histoire, dispensant vertu, progrès ou malheureusement source d’enrichissement
et de pouvoir personnel pour quelques ambitieux.
Le complot maçonnique émaille les argumentaires des anti-maçons. Dès
lors que la Franc-maçonnerie prendra des positions critiques vis-à-vis de la
société, elle suscitera des réactions d’hostilité de la part de détracteurs, en
particulier de l’Eglise. Pourtant, la Franc-maçonnerie des origines n’avait rien
d’anticléricale. Au commencement, on découvre des corporations de bâtisseurs
médiévaux. Ces regroupements de professionnels du bâtiment, avaient pour
finalité la défense de leurs membres, car le moyen-âge n’avait rien de tendre, les
abus de pouvoir étaient courants, voire, inhérents au fonctionnement de la
société d’alors. Elles protégeaient et garantissaient les libertés des
bâtisseurs parmi lesquels des maçons, dit francs
c’est-à-dire dégagés du servage ou d’une quelconque obligation vis à vis
d’un seigneur. Ces organismes servaient aussi de centre de transmission de savoir-faire,
protégés par le secret, car il en allait de l’indépendance des artisans, face à
la concurrence, potentiellement instrumentalisée par les puissants.
Les réseaux maçonniques naissent des corporations de métiers
A la Renaissance, ces assemblées
de libre-artisans ressentent les effets des guerres de religion. Les
corporations étant patronnées par un saint ou une sainte, la religion était
omniprésente, y compris dans les rituels, à l’instar du « mot de
maçon » écossais. La bible et son univers peuple l’imaginaire
proto-maçonnique, et il en sera toujours ainsi. Compte tenu de l’importance des
écritures saintes, la Réforme protestante eut des conséquences très importantes
sur les assemblées de maçons. La défiance vis-à-vis des images, que les
protestants associent à l’idolâtrie catholique, mène au refus de représenter, y
compris des croquis nécessaires à la construction. Ce point de vue allait faire
basculer la franc-maçonnerie jusqu’ici opérative, et tournée vers la
réalisation concrète, dans une logique spéculative, c’est-à-dire axée sur le maniement
de concepts, d’idées, de symboles. Cette évolution se déroule certainement en
Ecosse, dans le courant du XVIe siècle dans des milieux peut-être calvinistes.
La « nouvelle » Franc-maçonnerie
s’appuie toujours sur les réseaux des artisans et des entrepreneurs de
l’époque. Cependant, Au XVIIe siècle les loges acceptent de recevoir, à titre
honoraire pour commencer, des hommes ne possédant aucun savoir artisanal. En
initiant des impétrants évoluant hors des cercles habituels, la
franc-maçonnerie s’éloigne encore de ses bases opératives, se faisant elle
s’ouvre sur la société, elle se ménage ainsi cet aspect universel qui la
caractérisera plus tard. Cette « proto franc-maçonnerie » possède
déjà de l’influence, sinon comment expliquer, que des gens ne sachant tenir un
outil s’y intéressent ? Intégrer un réseau maçonnique permettait à coup
sûr de mieux se fondre dans la vie sociale et économique d’alors ; au
XVIIe siècle, la production de richesses s’appuie en grandement sur
l’artisanat…
Avant-garde de l’influence anglo-protestante
La Réforme et l’Humanisme ont ouvert
des brèches dans le front de certitudes qui cernait l’homme du moyen-âge.
Désormais, la culture dopée par la révolution de l’imprimerie, se répand dans
la société occidentale ; ses effets démultipliés seront irrésistibles,
déjà les flammes des lumières dessinent les contours des révolutions à venir. Dans
ce contexte, nombre d’hommes en mal de connaissances, ou d’une spiritualité
renouvelée, souhaitent épancher leur soif en recourant à la méthode maçonnique.
La franc-maçonnerie proprement
dite nait officiellement en 1717, en Angleterre. En 1723, Anderson et le huguenot français Jean Désaguliers
en rédigent les constitutions. Dans le
sillage de la glorieuse révolution de
1688, nombre d’opposants à la dynastie régnante en Angleterre, avaient fui leur
pays, propageant idées et pratiques, contribuant au développement des lumières,
sous un angle souvent maçonnique. Par bien des égards la franc-maçonnerie est
fille des lumières. Grâce aux réseaux de la diaspora jacobites, et à une anglomanie courante, la franc-maçonnerie
s’exporte rapidement sur le continent, et connaîtra un progrès constant au
XVIIIe siècle. En 1753, on compte près de deux cent loges en France, la plus
ancienne datant de 1721. Le parrainage constituant la base du recrutement des
loges, on ne pourrait nier l’influence de réseaux préexistants.
Le secret maçonnique protège une agitation intellectuelle subversive
La Franc-Maçonnerie agit comme un
microcosme dont les membres, s’ils ne représentent pas toujours fidèlement la
société, participent néanmoins aux débats et aux innovations qui la travaillent.
La philosophie des lumières illumine les salons, les académies, éclaire
quelques souverains mais aussi les loges. Elles foisonnent, s’y côtoient élites
économiques et intellectuelles, questionnant ensemble la nature de l’homme, de la création, de la
société aussi. On commence à évoquer des utopies, un monde sans rois, sans
arbitraire, une église plus ouverte... La noblesse comme la bourgeoisie se
laisse gagner par cette agitation intellectuelle, mais à cette époque tout
n’est pas toléré, un écrit trop audacieux peut conduire son auteur à la Bastille.
Ainsi, à la différence des académies et des salons, Les loges offrent une
sécurité relative, car le secret maçonnique autorise des débats au-delà de ce
qui est audible dans le monde profane.
La
Franc-maçonnerie n’offre jamais un visage uniforme, elle n’est qu’un reflet de
son époque. Dès lors qu’elle se diversifie, on ne peut croire à un projet
maçonnique unique, servi par un réseau homogène. La franc-maçonnerie se divise, à l’image de
la querelle des anciens et des modernes, et les obédiences naissent de
conceptions qui s’opposent et s’affrontent. En outre l’origine des
« frères » est diverse, et lors des tenues, on pourrait croiser le
tsar Pierre III, le roi de Prusse Frédéric II, les encyclopédistes d’Alembert
et Helvetius si emblématiques de l’esprit des lumières, ou encore le grand
Montesquieu dont les réflexions fonderont les institutions qui succéderont à la
Monarchie absolue… Si des réseaux maçonniques existent, possèdent-ils cette
cohésion qui les autoriserait à changer puis à contrôler le pouvoir?
Quand les réseaux maçonniques changent le
cours de l’Histoire
La Franc-maçonnerie est une
société, ou plus exactement un ensemble de sociétés, philanthropiques, fraternelles
et initiatiques. Un impétrant devient franc-maçon au travers d’un rituel appelé
initiation, visant à lui « ouvrir les yeux », à lui donner accès à un
sens ésotérique du monde, toujours dans un but fraternel. La Franc-maçonnerie
constitue par sa nature même un réseau, dont la qualité justement fraternelle,
pourrait intentionnellement se muer en affairisme. Rien de surprenant, si on
considère les origines « corporatistes » de la Franc-maçonnerie.
Société d’entraide, protégeant ses membres, favorisant leurs actions... Les
Révolutions américaines et françaises sont-elles des œuvres maçonniques ?
L’ardent désir des frères de porter des idées nouvelles en dehors de leurs
temples, a-t-il motivé des événements majeurs, comme la déclaration
d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique ou le serment du jeu de paume ?
Certes, des francs-maçons y participeront…
La franc-maçonnerie, invention
britannique, se développe sur la base d’un réseau de réprouvés, mais profite
aussi de l’expansion de l’empire de sa majesté, et de ses aléas. Nombreux sont
les « frères » qui immigrent au nouveau monde. Au début du XVIIIe
siècle, des Francs-Maçons contribuent à la colonisation britannique aux
Amériques. Un demi-siècle plus tard, la guerre d’indépendance éclate entre les
colons et la mère patrie ; des deux côtés la Franc-maçonnerie est
présente, la fraternité maçonnique n’empêchera pas la guerre, fratricide de
fait, comme tout au long des conflits à venir… Si un événement porte
l’empreinte de réseaux maçonniques, il s’agit de la Révolution américaine, emblématique
des principes qui ont cours au sein des loges. Un tiers des signataires de la
constitution des jeunes Etats-Unis d’Amérique, sont francs-maçons, comme George
Washington, Benjamin Franklin tous deux présidents de la nouvelle nation, de
même que les alliés français Lafayette et Rochambeau… Le fonctionnement des
loges préfigurait la démocratie ; les élites américaines, éprises pour une
bonne part de maçonnerie imprime à leur société un mouvement, qui ne pouvait
qu’aboutir au conflit avec la Monarchie. En Europe, les Français iront plus
loin, parfois trop loin dans leurs expérimentions…
Les loges contribuent à l’essor des libertés, de la Révolution, et de
la Terreur…
L’esprit des lumières, et les
pratiques qu’il suscite, parmi lesquelles la Franc-maçonnerie, ont fondé une
révolution intellectuelle, qui, à la fin du XVIIIe siècle devient politique…
Les maçons participent activement à cette évolution, isolément ou au travers de
réseaux, facilités par la proximité fraternelle. Précocement, la
Franc-maçonnerie rencontre des opposants, inquiets du succès de ses idées. Dès
1738, le pape condamne les francs-maçons en qui il voit des ennemis de la
chrétienté. La franc-maçonnerie est née protestante… Les institutions
catholiques se méfient de tout ce que la Réforme a contribué à engendrer,
l’humanisme, les lumières, et, la franc-maçonnerie. Si être chrétien est une
condition pour intégrer une loge, le relativisme religieux y est toléré, alors
que l’Eglise ne souffre aucune contradiction. Etre franc-maçon vaudra
excommunication. Mais tous les maçons ne s’accordent pas autour de la question religieuse,
les uns considérant leur activité comme une entreprise de perfectionnement
moral, alors que d’autres lui préfère une vision plus libérale, tournée vers le
progrès, éventuellement interventionniste dans la société. Cette opposition
interne culminera avec la scission entre anciens
et modernes qui structurent encore les loges d’aujourd’hui.
Les maçons « libéraux »
seront particulièrement impliqués dans les événements révolutionnaires de 1789.
Nombre de proclamations, de propositions politiques semblent d’essence
maçonnique car les loges les pratiquaient depuis longtemps ; on pense à la
notion de constitution, au système parlementaire, à la notion de débat, à
l’universalisme, à la déclaration des droits de l’homme… Mais à la différence
des Etats-Unis, la Révolution française portera un coup sévère à la
Franc-Maçonnerie. Certes, des acteurs de la Révolution comme Danton, Desmoulins
ou Philippe d’Orléans fréquentent les loges, mais les statistiques sont
éloquentes, en 1795 ne demeurent que dix-huit loges en France… Ces réseaux
maçonniques, promoteurs des libertés seront décimés par la Révolution, en
particulier sous la Terreur.
Certains haïssent la Franc-maçonnerie, les Bonaparte la contrôlent et
la surveillent
La Franc-Maçonnerie n’est jamais
exempte de paradoxes, car l’une des figures de la Terreur, Marat, était
franc-maçon… Mais pour nombre d’antirévolutionnaires, la Révolution demeurera
une œuvre maçonnique, le fruit d’un travail de sape opéré par une fraternité décrite
comme satanique, et résolument tournée contre l’Eglise. Cette dénonciation des
réseaux maçonniques prospérera désormais, connaissant une évolution quasiment
parallèle à la Franc-Maçonnerie, qui inspirerait les révolutions contre les
forces de la Tradition. Pourtant au nom
de la vertu républicaine et de la liberté que les « frères » avaient
contribué à promouvoir, la Franc-Maçonnerie est atteinte. Un homme, Napoléon
Bonaparte, que certain voit comme un tyran, lui redonnera son ampleur passé. Le retour en grâce de la Franc-Maçonnerie aux
yeux du pouvoir, est-il du à l’influence des réseaux maçonniques ?
Des « frères » sont proches
voire des intimes de l’Empereur. Des maréchaux tels que Grouchy, Masséna ou Ney
sont Francs-Maçons, comme d’autres serviteurs de l’Etat à l’instar de Talleyrand
ou Fouché ; La présence maçonnique
se révèle aussi prégnante au sein de la famille Bonaparte puisque Joseph, Jérôme
et Louis, frères de Napoléon 1er fréquentent les loges, comme
Joséphine de Beauharnais épouse du souverain… Si la Révolution avait consacré
l’influence intellectuelle et politique des réseaux maçonniques, avec l’Empire,
ils paraissent cerner le pouvoir… L’Empereur
choisit de favoriser et de s’attacher le Grand Orient de France, en y plaçant à
sa tête Joseph Bonaparte, flanqué de Murat et de Cambacérès. En fait de réseau
maçonnique au pouvoir, il s’agit plutôt d’une intrusion du pouvoir dans la
Franc-Maçonnerie, afin de neutraliser son influence trop subversive. Fils de
maçon, Napoléon III appliquera la même recette cinquante ans plus tard…
De la tutelle de l’Etat à la République des Francs-Maçons
Si le XIXe siècle commence avec
une grande présence des maçons dans les cercles du pouvoir, ils ne les quitteront
plus vraiment. La Révolution et son rejeton impérial avait changé le monde,
ouvert la voie du progrès social dans laquelle nombre de maçons libéraux se
reconnaissent toujours. Depuis les débuts officiels de la Franc-maçonnerie,
l’Eglise et les nostalgiques de l’ancien régime la honnissent… Cette détestation
ira crescendo. La Franc-Maçonnerie est de tous les combats du XIXe siècle, que
ce soient les luttes anticoloniales de Bolivar ou d’Abdel Kader, contre
l’esclavage avec Schœlcher, pour l’accès
à l’éducation avec Carnot ou Jules Ferry, ce dernier ayant paradoxalement promu
le colonialisme… Ils prendront le pouvoir sous la IIIe République.
Les anti maçons fulminent et dénoncent La Synagogue de Satan, les agents du
complot judéo-maçonnique à l’œuvre depuis 1870, ruinant les espoirs de
restaurer la monarchie, dépouillant l’Eglise de ses écoles, et la privant de
financement publics à compter de 1905… Mais si ces attaques mélangent
allégrement haine ordinaire et théorie du complot, l’actualité amène de l’eau
aux moulins des anti-maçons… Le Grand Orient qui depuis 1877 n’exige plus des « frères »
qu’ils soient croyants, compte près de trente mille membres, dont nombres de
parlementaires, de haut-fonctionnaires, de membres du gouvernement… Les frères
ne sont plus sous contrôle de l’Etat, comme aux époques des deux Napoléons, la
IIIe République se confond quasiment avec le Grand Orient ; on dit les
lois discutées en loge. Les réseaux maçonniques connaissent ainsi leur plus
beau succès, mais l’arrogance de certains gâchera cette réussite.
De l’arrogance à la chute…
La fin du XIXe siècle révèle les
sombres aspects de la société française, avec l’affaire Dreyfus… On se déchire
autour de cet officier israélite, injustement condamné pour espionnage… Un
climat délétère s’installe sur le pays déjà travaillé par les affrontements
entre catholiques et anticléricaux. Des opportunistes profitent de cette ambiance
tel Léo Taxil qui montera des canulars antimaçonniques, lesquels font recettes
avant que ne leur soit opposée la rigueur journalistique. La France humiliée en 1870 par la jeune
Allemagne, désire sa revanche. Les Républicains veulent épurer l’armée, en éliminant
toute sensibilité cléricale, monarchiste… La République est si liée au Grand
Orient qu’un officier, le Général André trouve naturelle de faire appel aux
loges pour dresser des fiches sur les militaires en fonction de leur
attachement à l’idéal républicain…. L’affaire éventée, le scandale explose,
l’opinion s’embrase, les milieux antimaçonniques jubilent, la confusion avec
les dreyfusards est avancée par les antisémites ; le complot judéo-maçonnique
existe donc…
Les pamphlets de Léo Taxil, la
confusion autour de l’affaire Dreyfus, mais surtout l’affaire des fiches
mettent en exergue, les dérapages des réseaux maçonniques en politique.
L’opinion restera méfiante, et des mouvements nationalistes, à l’instar de
celui imprimé par Charles Maurras, dénoncent la République des Francs-Maçons… On
fantasme leurs pouvoirs, leurs collusions, les déçus des loges nourrissent le ressentiment.
Les traumatismes de la grande guerre, la rancœur qui la suit ne feront
qu’amplifier le rejet de la Franc-Maçonnerie, qui désormais voisine avec celui
de la bourgeoisie, du parlementarisme, des juifs, des « métèques »…
14-18 a enfanté de sombres expériences sociales et politiques, qui érigeront la
persécution antimaçonnique au rang d’automatisme…
Les réseaux maçonniques, outils de combats contre le totalitarisme
Le communisme et le fascisme
attaquent la Franc-Maçonnerie, appareil occulte du pouvoir bourgeois. L’affairisme
insolant de quelques « frères », servant de prétextes à des
idéologies antidémocratiques aura mené la Franc-maçonnerie jusqu’au porte des
camps de concentration…. Si ces scandales n’avaient pas eu lieu, si les réseaux
maçonniques s’étaient cantonnés à l’entraide humanitaire, à la quête de
liberté, à la promotion de la paix au travers de la Société des Nations, en
aurait-il été autrement ? Peut-on croire un seul instant, que les
nostalgiques de l’ancien régime, de la toute-puissance papale, que les ligues
de 1934, ou les sbires des
totalitarismes soviétiques et nazis allaient oublier que justement, les réseaux
maçonniques avaient contribué à l’éveil de la démocratie ? Bien sûr que
non, malheureusement pour beaucoup de victimes…
Si les réseaux peuvent servir des
profits personnels, ils permettent aussi d’organiser la résistance. Dans les
années trente, malgré les défiances la Franc-Maçonnerie se développe à nouveau,
mais l’occupation viendra éclaircir ses rangs… Pourtant des frères rentrent
très tôt en résistance, utilisant les réseaux fraternels comme structure de
lutte contre Vichy et les nazis. Le régime de Pétain concentre tous les
sentiments antimaçonniques développés sous la IIIe République, la
gueuse vaincue par la Wehrmacht, est
abolie par ses ennemis de l’intérieur.
Résister
demande du courage, aux heures les plus sombres de la guerre, être franc-maçon
équivaut légalement à être juif, avec l’issue fatale que cela induit. Pourtant,
le soutien fraternel conduit les plus malchanceux, et les plus braves à créer
des loges dans les camps comme à Esterwegen… Si un réseau permet de faire des
affaires, de changer la donne politique, d’étendre une forme de solidarité, il
permet aussi dans ce cas de supporter l’insupportable…
Culte du secret et solidarité maçonnique, sources de vertu et de
discrédit…
A l’après-guerre, on panse les
plaies, la Franc-Maçonnerie affaiblie mettra des années à retrouver ses
effectifs d’antan. Mais ses réseaux restent opérationnels et influents, même si
le pinacle de la IIIe République est derrière. Les fraternelles, ces associations réunissant, en dehors des loges, les
frères de toutes obédiences partageant une même profession, existent toujours
et profitent de la reconstruction de l’économie comme le reste de la société. La
Franc-Maçonnerie semble consciente des déviances potentielles de ces
corporations ; son attitude vis-à-vis des fraternelles reste à la méfiance
voire à l’interdiction. Les buts professionnels de ces associations, leur
proximité avec les milieux d’affaires dérangent car ils contredisent les crédos
philanthropiques et philosophiques de la Franc-Maçonnerie, surtout quand les
scandales éclatent. Lors des années quatre-vingt du XXe siècle une série
d’affaires impliquent des Francs-Maçons : Urba, Carrefour du
développement, HLM de Paris… L’amplification médiatique, et le souvenir des
sombres épisodes du passé motivent une tentative de moralisation des activités
« para-maçonniques ». En 2005 le Grand-Orient tentera de faire
interdire les Fraternelles.
Quand des hommes se réunissent,
dans quelques clubs que ce soient, pour y parler philosophie, pour prier, pour
faire du sport, où défendre des idées, le simple fait de former une assemblée
constitue déjà un réseau, qui pourra servir l’humanisme comme les ambitions
personnelles. Mais l’aspect ésotérique et secret de la Franc-Maçonnerie,
renforce l’hostilité de ses adversaires. Pourtant, les Francs-Maçons ne sont
pas les seuls à parrainer des écoles, à protéger des orphelins, à se réunir
dans des laboratoires d’idées. Par ailleurs, les frères n’ont pas le monopole
des magouilles, d’autres formes de réseaux s’en rendent régulièrement
coupables. Plutôt du côté de la liberté,
la Franc-Maçonnerie aura œuvré à sa promotion, tout au long de son histoire ;
alors que ses adversaires ont mené des combats contrariant souvent l’expansion
de la démocratie. Mais les francs-maçons, comme chacun, sont les sujets des
soubresauts de l’histoire, on en trouvera paradoxalement dans tous les camps,
mais leur impact sur le progrès des sociétés demeurera plutôt vertueux.