Qu’est
ce que la racaille ? Des gens qu’on n’aime pas assurément, quand on les
nomme ainsi. Elle désigne à l’origine ceux qui comptent parmi les marginaux,
qui ne voudraient pas s'aligner dans les rangs de la majorité de la population,
ou en tout cas qui ne seraient pas désireux de suivre les us et coutumes de
Monsieur et madame « tout le monde ». Bien entendu on pense aux
délinquants, à des communautés aux modes de vie inhabituels, dissolus, en
désaccord avec la norme, et perçues généralement comme des inutiles voire des nuisibles.
Le mot « racaille » est très ancien, peut-être issu du latin rasicare signifiant « gratter ».
La racaille serait donc une sorte de poil à gratter de nos sociétés passés et
présentes. Cette insulte ne fut pas toujours adressée à des gens de basse
extraction, tout au contraire la littérature anti-bourgeoise a utilisé ce terme
pour désigner les nantis, ces individus riches vus comme des profiteurs, et des
exploiteurs du bon peuple. Le peuple serait donc comme le salami d’un sandwich,
pris entre les racailles d’en haut et d’en bas, entre petits délinquants de
cités et grands délinquants en col blanc. Dans les cités,
« racaille » n’est même plus une injure, il s’agit d’un qualificatif,
on est entre « racailles », c’est-à-dire entre personne de la même
bande, du même quartier. Aujourd’hui « les racailles », « les
cailleras » ou « cailles » ont pris la place des « blousons
noirs » des années 60, des « apaches » de la belle époque… Ils
ont tous en commun le fait que leurs effectifs sont composés de jeunes ou très
jeunes hommes, qu’ils sont très souvent issus des quartiers populaires ou des
banlieues, et que leurs conditions sociales font qu’ils vivent en infraction ou
en lisière de la loi. Ils cultivent naturellement une attitude de défiance
évidence envers le système et la bonne société, qui le leur rend bien. Si on
prend pour exemple les Apaches, un extrait du Petit Journal du 20 octobre 1907
est suffisamment éloquent pour offrir une comparaison avec notre époque :
« L'apache est la plaie de Paris. Nous
démontrons plus loin, dans notre « Variété », que, depuis quelques
années, les crimes de sang ont augmenté dans d'invraisemblables proportions. On
évalue aujourd'hui à au moins 70 000 le
nombre de rôdeurs — presque tous des jeunes gens de quinze à vingt ans — qui
terrorisent la capitale. Et, en face de cette armée encouragée au mal par la
faiblesse des lois répressives et l'indulgence inouïe des tribunaux, que
voyons-nous ?... 8 000 agents
pour Paris, 800 pour la banlieue et un millier à peine d'inspecteurs en
bourgeois pour les services dits de sûreté. Ces effectifs qui, depuis quinze
ans n'ont guère été modifiés, sont absolument insuffisants pour une population
dont l'ensemble — Paris et banlieue — atteint, le chiffre énorme de 4 millions
d'habitants. »
Quand
on lit ces quelques lignes, et en changeant quelques éléments de ci de là, on se dit que cet
article aurait pu être écrit aujourd’hui. Les reproches faits aux pouvoirs
publiques sont, de manière troublante, absolument identiques à ceux fréquemment
entendus depuis quelques années, on serait tenté de dire depuis
toujours ? La réponse la plus efficace contre la délinquance, au début du
vingtième siècle fut d’envoyer les sauvageons dans les tranchées de la grande
guerre. En général, les apaches ne se dérobèrent pas, la racaille s’est faite
massacrée au côté du reste de la jeunesse du pays. Par conséquent après guerre
les effectifs ont été ramenés à des seuils plus acceptables… La guerre constitue-t-elle
une solution à la délinquance ? Le prix est tout de même élevé pour plus
de tranquillité dans nos rues ! Mais on n’est pas loin de la vérité, la
racaille a de tout temps alimenté les armées, on peut par exemple penser à la
première croisade ou au recrutement de la Légion Etrangère depuis ses origines.
Toute
société a sa racaille, oserait-on dire qu’il n y aurait pas de société sans
racaille ? En tout cas, nombre de jeunes filles de la bonne société, ont
de tous temps été émoustillées par ces jeunes freluquets, ces fripouilles qui
scandalisent les bons pères de familles, affichent une virilité juvénile et
séduisante pour nombre de cœur en mal de sensation ; le mauvais garçon, le
« bad boy », est d’ailleurs régulièrement mis en scène dans la
littérature comme à l’écran. L’éternelle question est : que faire de cette
racaille ? Une réponse possible : de bons pères de famille
potentiellement scandalisés par la prochaine génération de racailles…