mercredi 11 décembre 2013

La Fraternité


Deux hommes pourraient être frères contre leur gré, comme ils pourraient s’être choisis. Dans le premier cas, des enfants issus d’un même ventre, ou élevés comme tels, seraient naturellement portés à s’aimer, d’un amour fraternel, car partager le même lait, grandir à l’ombre des mêmes parents, se sentir d’une même famille, d’un même sang, cela crée des liens indéfectibles ; quoique. On peut être frères ennemis, on peut se détester parce qu’on devrait partager l’affection d’un père et d’une mère, parce qu’un frère pourrait être plus beau, ou plus fort que soi… Alors le sentiment fraternel amplifiera la haine, la jalousie, cette même envie fratricide qui animait certainement Romulus ou Caïn… On dira alors qu’on n’est pas responsable, parce qu’après tout, on n’a pas choisi d’être frère ; ce n’est pas de notre propre volonté qu’on nous a mis en prise l’un avec l’autre ; l’autre, celui là même qui nous est si proche, si intime qu’on le vomirait… Ce frère là, on n’en veut pas. Bien sûr, il y a des frères qui s’aiment, qui sont inséparables, inconsolables quand l’autre, celui qui a toujours était là, n’est plus là justement… Mais même cette paire n’a pas choisit de grandir dans le même pot, ils s’aiment c’est tout, le même ventre les a poussé au dehors, et puis ils ont téter le même sein, çà rapproche oui, mais quand même, ils étaient un peu obligés, par la destinée, le hasard, Dieu, ou ce que vous voulez.
Quand elle n’est pas biologique ou octroyée par la loterie de l’adoption, ou plus exactement, quand le sentiment fraternel existe entre des personnes, qui n’auraient ni lien de sang, ni de lait, la fraternité s’appuie sur le choix individuel, qui d’ailleurs peu être exempt d’amour ; on peut se choisir un frère sans l’aimer, un peu de considération suffira. La fraternité choisie est donc un acte absolu de liberté. Même le futur légionnaire qui signera son contrat d’engagement, choisira ses frères d’armes, d’autres volontaires qui comme lui renonceront, librement, à une part de leur liberté. La fraternité est dans ce cas une puissante vertu, elle réunira les hommes face au danger, elle créera des liens d’entraides, elle forcera le respect aux plus irrespectueux, elle se confondra avec la solidarité. On la pratique de tout temps, dans les ordres religieux, sur les champs de batailles, dans les sociétés initiatiques ou sur les frontons des mairies… Je me dis qu’au départ, la fraternité choisie devait être forcément issue de sa version biologique. A l’aube des temps, les hommes allaient par petits groupes, une vingtaine ou une trentaine d’individu à tout casser. En outre, il y avait tous ces kilomètres carrés qui n’appartenaient à personne, au milieu desquels on était si isolé, à tel point qu’il aurait fallu des décennies avant de croiser un autre clan. Alors comme les rencontres étaient rares, au sein du clan on devait tous être apparentés. Pour faire bref, il est plus facile d’être frères entre cousins ; les frères de clans, le sont de sang à quelques degrés prêts. Donc, à cette époque reculée la fraternité offrait un visage familier et familial, car la survie l’imposait ; perdre un membre du groupe pouvait affecter la survie de l’ensemble. La fraternité tribale était un moyen de maintenir la cohésion, en vue de ne pas terminer dans l’estomac d’un gros matou. Par contre quand l’agriculture a été inventée, et que le monde s’est couvert de champs avec son lot de propriétaires, la donne a changé. Pour commencer, il y eut plus de monde contre lequel se heurter, et moins d’endroits de tranquillité. La convoitise pour le lopin du voisin, a généré son cortège de faux-frères, de mauvais frères, de frères ennemis… L’exploitation des uns par les autres, l’opposition entre celui qui a et celui qui n’a pas, tout cela a nourri la violence. La fraternité devait être réinventée, réadaptée à un monde où le prédateur de l’homme, n’est autre que lui-même.
Alors quand on vit dans la violence guerrière, on y répond par la fraternité d’armes, on veut échapper à la violence du travail, on crée des syndicats et on se donne du « camarade » en guise de « frère », quand la violence morale est trop forte, on se réfugie dans des confréries spirituelles où on aime refaire le monde et éventuellement se promettre un au-delà… La fraternité est comme le nid douillet et originel, le coin du feu tribal où chacun aimerait tirer un peu les marrons en bonne compagnie, loin de la rumeur d’un monde effrayant et détraqué. La Fraternité rend sa dignité à des hommes broyés par le nombre, par l’anonymat, dans une humanité devenu si vaste que chacun de ses enfants s’ignore. Nous allons comme les orphelins d’un passé heureux, d’une terre sauvage et disparue, d’un Eden à la vie âpre mais où chacun avait sa place et son utilité ; nous sommes en mal de fraternité, car nos ancêtres en tuant le frère, ont simplement rompu la chaîne. La fraternité est une nécessité dans un contexte de déshumanisation, elle nous redonne des couleurs aux joues, elle active la circulation quand on se met à se préoccuper du voisin, qui d’un seul coup ne sera plus jamais un étranger, ou mieux, cessera d’ « inexister ». En somme, la fraternité est certainement la vertu qui donne le plus d’humanité à l’homme, parce que nous restons des animaux sociaux, parce qu’être fraternel participe à maintenir la horde, sans quoi nous ne serions que des singes nus, incapables de faire face à une nature qui ne nous a dotés que de peu d’arme naturelles. En évitant de se créer des ennemis de l’intérieur, la fraternité permet au groupe de lutter contre ceux de l’extérieur.
Comme toute chose, la fraternité peut-être dévoyée. Chez les Spartiates, la fraternité maintenait infranchissable le mur de boucliers lors des combat, alors la phalange pouvait briser des vagues de tueurs à un contre cent, car c’est le lien puissant qui unissait les hoplites de Léonidas qui permirent aux Grecs de freiner, puis d’arrêter l’invasion perse. Mais les Spartiates n’étaient pas libres, Sparte ne pratiquait que la loi du plus fort et était inégalitaire, seule la fraternité était insufflée au sein de l’élite guerrière de la cité. La France fit sienne le triptyque Liberté-Egalité-Fraternité, il n’y a pas de hasard, ces trois notions fondent l’idéal républicain, et surtout instaurent les conditions de l’existence même de la Démocratie moderne. Ainsi, la liberté nous permet d’être tels que nous sommes aux yeux des autres ; si je t’accepte tel que tu es alors que tu es plus grand que moi, disons que grands ou petit peu importe, car nous sommes égaux ; mais sois fraternel, aide moi un peu, et fais moi la courte échelle que je contemple l’horizon. C’est ainsi je pense, qu’est rendu possible la construction d’un édifice solide et durable, un abri pour la somme des bonheurs, faisant le bonheur de tous.