Fondamentalement,
l’égalité est un principe mathématique, la solution d’une comparaison entre
deux ou plusieurs valeurs identiques.
La nature ne produit pas des individus égaux ; les
hasards de la génétique produisent de nécessaires variations, qui sont autant
de sources possibles d’adaptation aux milieux. Dans un milieu préhistorique,
être noir en Afrique était un avantage évolutif, alors qu’il n’en était pas un
en Europe ; aujourd’hui notre mode de vie nous permet de nous affranchir
de ces anciennes adaptations, grâce aux vêtements ou à l’écran total par
exemple.
Le milieu naturel est donc inégalitaire, ce qui favorise les
différentes opportunités de mutations, sur lesquelles s’appuie la sélection
naturelle. Il est admis que selon l’évolution du milieu, des crises climatiques,
des catastrophes naturelles, des accidents de l’histoire, un désavantage, une
faiblesse congénitale, peuvent devenir des avantages dans la course à la
survie, et inversement un avantage pourrait devenir un handicap, si le théâtre
de la création changeait de décor. Il est intéressant de noter que la reproduction
sexuée, grâce au brassage génétique qu’elle a introduit, a permis la
multiplication d’individus inégaux. Le sexe est définitivement une source
d’inégalité à tout point de vue. Pourtant il démontre à quel point des êtres
inégaux peuvent se désirer et s’unir, l’amour donc, se nourrirait
d’inégalité ?
Chez les humains, la notion d’égalité est une réponse à un
besoin de stabilité, de sécurité, on cherchera à briser une logique menant à la
souffrance, celle des frustrés. L’inégalité nourrit la frustration des dominés,
qui n’ont accès aux ressources qu’après les dominants ; par dominant
j’entends les plus forts, les plus beaux, les plus riches, les plus puissants
en somme. Cela génère des climats délétères et des conflits souvent violents.
Les cycles de révoltes, de rebellions, qui peuvent être matés, mènent à
l’oppression qui, à son tour, nourrira les frustrations et ainsi de suite. Généralement
les soulèvements qui aboutissent, les révolutions, génèrent de nouvelles élites
qui auront tendance à devenir, à leur tour, opprimantes, relançant ainsi le
cycle frustrations-soulèvements. On a souhaité l’égalité pour briser cette
logique implacable, pour faire place à un monde sous contrôle, où la nature
serait contrée. On a finalement réussi à instaurer des régimes, qui partaient
du principe que nous serions égaux.
Des tentatives de gouvernements basées sur une égalité absolue
ont été menées. Mais la nature humaine, j’ai bien écrit « la
nature », la réalité de l’inégalité des corps, des talents, des faiblesses
de chacun, exclut la mise en place d’une égalité absolue entre individus. Tous
les essais de l’imposer n’ont jamais fonctionné, et se sont sans cesse heurtés
à la loterie naturelle. Il n’est même pas certain, que le recours à la
technologie puisse éventuellement permettre un tel miracle, qui d’ailleurs
pourrait s’avérer fort ennuyeux ; dans un univers de clones identiques,
l’autre existe-t-il? L’autre, celui qui aurait des choses à nous apprendre sur
lui et nous, existe-il dans un monde qui ne serait que le miroir d’un
individu unique? L’autre est notre nécessaire « inégal ».
Par conséquent, on peut tendre vers l’égalité sans jamais
l’atteindre. En l’imposant comme obligation niant la réalité des inégalités, on
versera dans la dictature, c’est-à-dire un générateur d’extrêmes frustrations,
et donc, de violence. L’égalité est en
fait une réponse inverse et artificielle à l’Inégalité qui règne dans la nature,
mais son application reste difficile.
Pourtant, il est évident que l’inégalité est un problème
majeur, qui aura tendance à devenir de plus en plus insupportable avec le
manque de ressources ; la notion d’inégalité revient ainsi hanter les
esprits quand l’appauvrissement menace, que les riches transforment le peuple
en larbins, et que les insolentes dépenses des puissants, nourrissent des rêves
de vies quasiment irréalisables et restant purement télévisuels.
Mais il ne faut pas se méprendre, un idéal d’égalité n’exclut
pas l’acceptation de la vérité, nous sommes inégaux. Mais croire en un idéal
nous élève au dessus de notre condition de sujet. Pourquoi subir ? Le
bonheur étant conditionné par l’acceptation du réel, nous avons inventé
l’imparfaite démocratie. La démocratie moderne instaure l’Egalité comme
principe théorique, et pas absolu ; l’absolu étant l’ennemi du bien, la
démocratie œuvrant pour ce même bien, elle ne peut s’exercer en suivant des desseins
irréels, sans quoi elle serait dévoyée. Si les hommes sont égaux en droit,
c'est-à-dire devant la loi, qui est la même pour tous, ils ne sont pas
forcément égaux socialement, ne naissent pas avec les mêmes chances de
réussite. Donc même les sociétés théoriquement égalitaires sont soumises à
l’arbitraire naturel, qui est accepté, on ne saurait lutter contre la Nature.
La loi est alors ce qui vient atténuer les frustrations, en traitant chacun
d’une manière égale, sans favoriser ceux qui naturellement détiendraient des
avantages, ou des passe-droits.
Pour
le bien de l’humanité, la recherche de l’équité, de l’harmonie entre citoyens semble être pour l’instant la voie la plus sûr pour produire le plus de confort
possible. Le confort c’est l’assouvissement modéré des besoins de chaque
individu. Ce confort n’existe qu’avec une règle du jeu égale pour tous, ce qui
garantit une égalité en droit qui éloigne un peu la frustration. Cette dernière n’est pas abolie, car les
inégalités naturelles sont toujours présentes, de même que les différences
sociales. On combat la frustration en même temps que l’ignorance, car c’est
l’éducation qui permet à chacun d’appréhender le difficile équilibre que tente
quotidiennement de maintenir une société démocratique.