Comme
je connais un peu mes classiques, je sais bien que toute cette liberté n’est
pas tombée de nulle part, les anciens se sont battus pour elle, Gavroche a bu
la tasse dans le ruisseau pour que ma petite personne soit choyée. Sous la
mitraille, les fers aux pieds, dans le flot d’insultes des chefaillons,
nombreux sont nos ancêtres qui ont enduré le pire pour leur descendants, c’est-à-dire
nous. J’imagine que dans leur chair même, ils ont appris le sens de la phrase « je
suis libre ». Libre donc, libre comme le vent jouet des caprices climatiques,
ou libre comme un citoyen sous le regard bienveillant et protecteur de la loi ?
Absence
de contraintes serait synonyme de liberté… Je ne suis pas libre alors, ou pas
tout à fait. Je me dis bien que courir nu dans les rues, en hurlant la fin
prochaine des nains de jardins serait une liberté si grande, qu’elle pourrait
mener à des libertés bien plus petites et sous contrôle médical. Le contrôle,
donc. La liberté est un état de confort incluant un peu de contrôle, par
soi-même quand on est bien élevé, et par les représentants de l’ordre, du
consensus, de la collectivité, de la société… On est nombreux, il faut bien
faire avec ; d’ailleurs à l’allure où le monde rétrécit, je pense qu’on
se heurtera de plus en plus les uns aux autres. Alors, pour éviter que l’ombre
de Malthus ne nous ramène brutalement à des effectifs plus raisonnables, il
faudra plus de contrôle, d’autorité en fait.
Comme
je le disais, le contrôle c'est aussi les bonnes manières, ainsi chacun est
responsable de son périmètre ; l’avantage quand tout le monde est bien
éduqué, c’est que le consensus s’appuie sur l’individu, enfin c’est un ma
vision des choses, un peu surannée, mais j’ai foi en cette notion d’autorité
individuelle. Le problème, c’est que cela ne marche que dans une société
porteuse de valeurs parmi lesquelles les respects d’autrui, et du règlement. Cela
ne fait pas l'unanimité. Alors, pour éviter que le périmètre de
chacun ne soit pollué par les intrusions de quelques brutes épaisses, il faudra
bien que le règlement de l’ensemble érige des barrières de sécurité. Cette
protection est bien nécessaire pour éviter que les inégalités naturelles ne
fassent pas trop de victimes. Le plus faible doit pouvoir se frayer
tranquillement un chemin jusqu’à son repas quotidien, ou vers sa partie de
jambes en l’air, sans que le costaud du quartier ne se tape son quatre heures.
Alors
attention.
Le trop étant l’ennemi du bien, il y a bien quelques petits malins
qui sous prétexte de nous protéger, auraient tendance à se goinfrer de nos
biscuits, quand ils ne se mettraient pas distribuer des baffes au passage. On
se doit de bien écrire le règlement, pour qu’il n’y ait pas trop de règles
justement. Trop de loi tue la Loi, et point de liberté sans loi à moins d’être
tout seul, ce qui est ennuyeux.
Vivre
libre, est un exercice difficile car faire le funambule revient au même. L’équilibre
est la règle de base, les pouvoirs, les contre-pouvoirs, tout doit fonctionner
en harmonie sous peine de punition historique et de lendemains amers. Mais que c’est ardu, délicat de ménager la
chèvre et le choux, de ne pas habiller Paul en prenant à Jacques… Jacques, se
plaint de la pression fiscale qu’on lui met pour que Paul ne se balade pas à poil… Il ne se sent pas toujours libre Jacques. Et pour Paul ce n’est pas
mieux, est-on vraiment libre quand on pointe au chômage ? Pas de
boulot, pas d’argent, donc moins de désirs satisfaits, et une ambiance délétère
à la maison. Quand on réfléchit un peu, la liberté est elle-même sa
pire ennemie. J’écrivais plus haut que finalement la liberté a besoin d’un peu
de contrôle pour survivre. Que répondre alors à ceux qui nous disent que la
liberté de faire du business devrait ne pas avoir de limite ? Ils aiment
les libertés ceux-là, enfin, ils aiment surtout la leur.
Quand
il y a trop d’argent, trop de pouvoir dans certaines mains, le périmètre des
propriétaires de ces mêmes mains se met à enfler, et celui des voisins diminue
d’autant. Et puis quand on a le pouvoir, on peut aussi s’amuser à changer les
règles, pour son propre confort, et pomper un peu plus l’air des copains. Le
paradoxe, c’est que manquer d’air çà gonfle un peu, et provoque des tempêtes
révolutionnaires. En bref, la privation de liberté nourrit le désir de liberté.
Quand on est libre, pourquoi désirer ce qu’on a déjà ? Alors on s’endort,
la vigilance s’abaisse, et les petits malins commencent à se frotter les mains.
Pour
conclure, la Liberté est mère du bonheur, le bonheur de n’être la proie de rien,
ni de personne, et de se sentir protégé. Mais en terme de protection, rien ne
remplace l’éducation, ces bonnes manières, cette cordialités qui nourrit des
rapports pacifiques et emprunts de compassion.
Si l’incivisme s’installe, alors il faudra bien compenser en déléguant
sa part d’autorité. Dans ce cas, on se jouera de nos peurs, et notre liberté s’en
ira avec nos larmes. Vigilance donc, surtout avec ces colporteurs qui frappent
au carreau de vos écrans, pour vous dire que des monstres vous guettent à chaque
coin de rue, mendiant à vos fenêtres, priant sur vos tapis… Méfiez vous de ceux
qui vous affirment que vous devez avoir peur. Pour moi au final, être libre c’est
commencer par être courageux.