En chaque occidental, en chaque
citoyen, il y a un paradoxe, un affrontement intérieur qui trouve un écho dans
les cycles de notre histoire, en un mouvement de va-et-vient entre grandeur
impériale et prolifération de principautés et de potentats. C’est que
nous avons intégré, parfois de manière perverse, comme le contrecoup de la chute du
géant romain, il y a 1500 ans.
Il y a comme une réverbération, un choc qui nous
hante inconsciemment et collectivement, qui nous poussera régulièrement à
souhaiter la restauration de l’Empire. La Rome antique résonne comme notre
bruit de fond cosmogonique, notre mère déchue et lointaine. Ce que nous vivons
encore aujourd’hui n’est que la suite de ce continuum, depuis que le dernier
empereur authentiquement romain a été déposé à l’ouest. Combien d’ambitieux, d’opportunistes,
se sont rêvés en nouveaux Césars ? Un paquet, si on compte ceux que l’on
aura oubliés…
Barbares ! Toujours à nos
portes, voleurs, pillards, destructeurs, parasites… Guettant nos faiblesses le
long de nos frontières, prêts à mener leurs invasions jusqu’au saint des saints
de notre monde… Le Barbare a bon dos. Le barbare est un alibi, une bonne raison
de considérer que la chute tient toujours de la pression que les autres nous
imposeraient, et toujours avec malveillance. Mais si les barbares ont pris
Rome, c’est parce que Rome se faisait la guerre à elle-même depuis longtemps. L’avidité
des puissants, le relâchement des élites, leur fermeture à toute promotion sociale,
et le dénigrement de l’état demeurent les vraies raisons de la chute de Rome.
Rome était devenue une emmerdeuse pour nombre de provinces concurrentes, son
aristocratie attachée aux traditions, à son paganisme, ont amené des citoyen
romains à souhaiter sa chute pour tourner une page. Le barbare a donc été
invité à la prendre.
L’état romain, son fisc, son
pouvoir parfois pesant, était un empêcheur de magouiller en rond, du coup les
oligarques de l’époque n’ont rien fait pour empêcher sa faillite, puis sa
chute. Le moyen-âge a été souhaité par des potentats locaux qui se sont partagé
l’empire, par confetti, quitte à dégrader la sécurité, l’économie, la culture…
L’avidité éternelle de l’homme détruit tout, même les grandes civilisations.
Considérons le féodalisme : je te protège, si tu travailles sur mes terres ;
ainsi né le servage. On voit bien que l’offre de sécurité mène à l’enchaînement
de la liberté. Cela rappelle furieusement nos temps agités. Les migrants fuient
les guerres impériales que nous menons, la violence amenant la violence ;
elle s’étend jusqu’au cœur de nos terres pacifiées, suscitant la terreur parmi de bons peuples embourgeoisé par tant d’années d’abondances. Le libéralisme
milite pour le recul de l’état qui en conséquence n’assure plus autant la
sécurité de ses citoyens, les soignent moins bien, les éduque à l’arrache… L’état
est méprisé et ses représentants, maudits. Le libéralisme n’est qu’un avatar du
féodalisme.
La montée des nationalismes, le
rejet des étrangers, le passéisme, un attachement à une identité fantasmée, la
corruption des dirigeants, la confusion des pouvoirs politiques et économiques, tout cela nous
renvoie à de nouveaux âges sombres. Irrémédiablement la guerre reprendra ses
droits, et s’invitera partout où les nouveaux seigneurs auront fait plier le
pouvoir central. On se met à révérer des chefs barbares, voyant en eux des
forces revigorantes pour notre vieil occident. A la faveur du chaos, on les choisira pour maîtres. Les nouveaux Alaric et Attila se
lèchent déjà les babines, semant la sédition, s’essayant même à faire et
défaire nos souverains, alors qu’eux-mêmes sont déjà bien malades. Pourtant leurs
chefs se parent de la pourpre, car comme tout barbare, ils admirent l’empire qu’ils
veulent détruire. Nous les avons tellement humiliés…
Quoi de plus terrible que le
désir de revanche. La défaite française au terme de la guerre de sept ans
enfanta Napoléon, la défaite allemande de 1918 accoucha d’Hitler ; qu’est
ce que le dépeçage de l’empire ottoman
ou la faillite russe après la guerre froide, ont finalement engendré, sinon un
désir de vengeance qui nous est adressé… Parce que nous sommes faibles, parce
que nous nous divisons à nouveaux, une tempête planétaire se prépare. La
nouvelle Rome aux Amériques s’y prépare ; en Europe nous dormons, et nous
gardons la tête dans le sable. Que ferons-nous quand les baltes ou les polonais
verront les Russes débarquer ? Comment agirons-nous lorsque la Turquie
ravira Chypre et poussera son avantage au levant ? Sommes-nous prêts ?
Si tu veux la paix prépare la
guerre. Nous ne préparons plus rien
depuis que les faillites des états sont orchestrées par les banques, c’est-à-dire
par quelques oligarques. A y regarder de plus près, quand par copinage un représentant
de l’état signe des accords de dette avec des financiers privés, n’est ce pas
une faute ? Quand on connait les montants dus aux banques, n’est ce pas de
la haute trahison ? Pourquoi les rembourser d’ailleurs ? Parce que
des états nous ont prêtés ? Mais dans quel but puisque nous ne pourrons
pas honorer toutes nos dettes ? Vont-ils nous faire la guerre si on poursuit
cette logique, se saisir de nos territoires, de notre sève pour défaut de
paiement ? En vertu de quel droit, si ce n’est de celui du plus fort…
Comment imaginer que les gens intelligents qui tiennent les manettes, n’y
auraient pas pensé; peut-être même le souhaitent-ils.
Parce que je préfère l’empire au
moyen-âge, je défendrai l’Union européenne. Parce que je suis certain de la
nécessaire supériorité de l’état sur toute autre forme de pouvoir, je soutiens
l’idée que nous ne devons pas rembourser la dette. Parce que je pense en Romain
qui se tient toujours prêt au pire, j’affirme à l’inverse de la logique
actuelle, qu’il faut s’en remettre à une fédération dont le bras armé tiendra
en échec les menaces eurasiennes, parce que si nous sommes forts, alors nous
serons respectés et que nos ennemis deviendront naturellement des amis. Vive l’Empire et
son projet de paix universelle!
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