lundi 10 avril 2017

Intelligence économique


Régulièrement, je m’interroge sur le sens de la vie professionnelle. Certains y voient une chance de réussite, d’autres, une nécessité alimentaire. Notre société s’appuie sur la notion même de travail, à savoir, sacrifier une part de son temps, pour assurer sa survie. Sacrifice, nécessaire pénitence ; comme le travail d’une femme mettant au monde, la souffrance rime avec travail, mais ces derniers temps, on a bien l’impression que travailler est une torture…

L’origine du mot travail est éloquent, on y verra une expression poétique douloureuse ; « travail » est issu de tripalium en latin, c’est-à-dire du nom d’un instrument de tourment destiné aux esclaves en fuite... Le triptyque Travail-Punition-Esclavage gouverne les existences depuis fort longtemps, au point qu’à la fin de l’antiquité le langage commun se soit approprié un dispositif de torture pour désigner le labeur. Labourer la terre, noble tâche du producteur, a la même étymologie que le labeur. J’ai parfois la sensation que même si travail et labeur sont synonymes,  ils ne seront pas perçus de la même manière. Le labeur sonne comme un terme littéraire, plus élevé, noble, il semble désigner une forme vertueuse d’acharnement, à accomplir une œuvre quotidienne et nécessaire. Le travail parait plus trivial que le labeur, qu’il a usurpé, et semble être en partie revenu à son premier sens, celle du châtiment.

Souffrir et travailler vont de pair…
On parle beaucoup de souffrance au travail, ce qui, considérant son étymologie, constitue un quasi pléonasme. Souffrir et travailler vont donc de paire, travailler sans souffrance, sans effort donc, rend suspect de ne pas travailler du tout, il faut que la tâche ne soit pas trop simple, il faudra bien y laisser quelques plumes, un peu de sa santé, et parfois de sa dignité, sans quoi le salaire ne sera pas mérité. Le sel de la sueur donne du goût à nos épinards de tous les jours ; le salaire, le salarium romain était la ration de sel perçu par le légionnaire au titre de son travail de tueur de barbare. Le travail est une souffrance salée. Sang et sel nous ramènent un peu au rayon salaison, le marché de l’emploi serait donc comme un étal de travailleurs se tordant dans la saumure. Vision horrifique, du salarié-esclave, mangé en tartare par le patronat… Caricatural ?

Avant il existait encore des métiers, il n y avait pas de bullshit jobs…
Pourtant, en s’informant un peu, auprès de l’entourage, des anciens comme des plus jeunes, on est en droit de s’interroger, car la notion de travail semble avoir résolument changé. Nos parents sont entrés dans la vie active, avec un sentiment de devoir accompli aux sortir de leurs études, ou apprentissages. Le cadre comme l’ouvrier, s’ils ne partageaient pas le même destin social, avaient cependant la certitude que travailler leur permettrait de progresser, de s’installer, de construire un logis, pour y installer leurs familles. On n’avait qu’à reproduire ce processus de génération en génération. Beaucoup aimaient leur emploi, on avait généralement une conscience professionnelle une fierté d’avoir bien œuvré, que l’on soit comptable ou tourneur. D’ailleurs il n’y avait pas de sot métier, du moins pas encore, il existait encore des métiers, pas de bullshit jobs autrefois. Personne n’était trop jeune pour entrer sur le marché du travail, ni trop vieux pour y rester ; certes, cela avait aussi quelques brutaux inconvénients.

Le travail était un acte de liberté…
Pour les esprits indépendants, monter une affaire ne correspondait pas, comme trop souvent aujourd’hui, au dernier recours de salariés hébétés par la violence de leur condition. On ne créait pas son propre emploi parce que justement il n’y avait plus d’emploi, mais bien par vocation, par caractère, parce qu’on se disait parfois que même sans diplôme, on se taillerait une part du gâteau envers et contre tout déterminisme social. Finalement, les anciens étaient des hommes libres. Même si, leur liberté tenaient un peu à la supériorité économique occidentale, car à cette époque qui ailleurs dans le monde, excepté les nippons, auraient pu prétendre nous voler nos clients où nos fournisseurs de matières premières ? Tout était sous contrôle, les prés carrés, les actes de soumission, et des hommes de paille garantissaient les cours les plus bas à nos acheteurs. La vie était belle, dans un monde bipolaire, opposant droit de travailler chez les communistes et droit de consommer chez les capitalistes... Un équilibre de terreur, entre rêve rouge et Disneyland, permettait à quiconque de choisir son idéal, aussi pathétique fut-il. Et puis l’empire d’Orient s’effondra, son communisme mangé par les mites de la corruption ne put être sauvé, y compris par le formole dans lequel baignait ses oukases.

Les baby boomers ont choisi de brûler tout le fioul quitte à mettre le feu à la baraque !
Le libéralisme avait gagné. Avec sa victoire vint son insolence, et avec elle le trop, éternel ennemi du bien. Les anglo-saxons inventeurs du genre, élevèrent leurs principes de boutiquiers en dogme. La religion du capital à tout prix allait amplifier son œuvre… Alors on commença à se dire que l’état était une manie de gauchiste, d’ailleurs ce dernier se laissa ringardiser, pris dans son idéal sentant les pompes funèbres. Une génération de jouisseurs, avait cédé aux sirènes de la consommation, après avoir cru faire une révolution en 68, alors qu’elle n’avait gagné que le droit de baiser sans entraves. Ces baby boomers d’Occident ont choisi de brûler tout le fioul quitte à mettre le feu à la baraque. On se shoote à la pub, on exige son quota de cadavres au 20 heures, et puis on part en vacances même en hiver. Le monde peut mourir demain, de toute les manières on s’en fout, on en aura bien profité, on ne sera plus là pour payer l’addition.

Le banquier décide qui jouira et du temps qu'il fait sur les marchés.
Depuis que cette folie, cette fuite en avant dévore tout, esprits et paysages, le travailleur est instamment invité à bosser pour payer ses traites, la dette règne, le banquier est devenu juge et grand prêtre, il décide qui jouira et quel temps il fait sur les marchés ; il est maître du monde et ses complices sont installés de toutes parts au cœur du système. Depuis quand ceux qui prêtent de l’argent, qui spéculent, sont à leur place aux manettes ? Ils enchaînent le travail, tous les dispositifs qu’ils déploient pour vendre toujours plus de dettes, finissent par tuer la valeur même du travail. Comment un travailleur prisonnier de ses crédits pourrait aimer autant son travail qu’un travailleur libre ? Comment la publicité faisant la propagande d’un bonheur illusoire à coup d’achats souvent inutiles voire toxiques, pourraient nous convaincre de notre liberté ? Avant, on pouvait affamer un peuple pour l’asservir, aujourd’hui on le gave pour çà…

Se libérer en refusant le remboursement de la dette…
Le duo travail-dette constitue le vrai moteur de notre société. Il est temps de se réveiller et de retrouver notre liberté. Comment ? En refusant d’honorer la dette. Pourquoi le pouvoir politique devrait-il accepter des règles fixées par une minorité défendant des intérêts privés ? Pourquoi ne pas faire changer la peur de camps, en annonçant aux financiers, qu’on ne paiera pas leurs hypothèques sur nos cultures, nos territoires, nos libertés, que la dette n’est pas transmissible de père en fils. Sur ce dernier point, la transmission de la dette aux enfants constitue l’un des fondements de la réduction en esclavage, alors quand ce sont des états qui doivent de l’argent aux banques, la tentation est grande de nous faire avaler que la mise entre parenthèse de nos libertés est nécessaire au remboursement. A chaque chute d’empire succède le temps des grands féodaux, qui ne manqueront jamais de rappeler à chaque serf le poids de sa dette éternelle.


Alors, je prétends que le travail doit être libéré, redevenir une force vertueuse et créatrice, et que pour cela, on doit s’affranchir de la tutelle des banques, qui n’aspirent qu’à se créer des débiteurs pour consolider leur emprise. Cet enjeu est si central dans l’évolution de notre monde, que quiconque proposera de ne pas rembourser la dette, je voterai pour lui.

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